Interview de Pierre Notte,

écrivain, auteur, metteur en scène

L’homme qui dormait sous mon lit est à découvrir le 17 mars 2023 à 20h au Point d’Eau

Quel accueil a obtenu la pièce ? (le sujet effraie-t-il ou au contraire provoque-t-il un engouement/engagement ?)

Tout est possible, toujours. À Avignon, on m’a insulté, on a accusé la pièce d’être raciste, d’exploiter les pires clichés. Je l’assume. En Martinique, le public blanc frissonnait, les noirs hurlaient de rire. On ne peut pas rire de tout avec n’importe qui. Mais on le doit. Il le faut. À Dunkerque, les gens étaient bouleversés… Tout dépend des soirs, des gens, d’un spectateur ou d’une spectatrice, d’un contexte. Mais les programmateurs et les programmatrices ont confiance en leur public, ils veulent un théâtre qui dérange, qui n’arrange pas, qui interroge et provoque, pas de produits confortables…

Qu’est-ce qu’une « dystopie lucide » ? 

Il m’est arrivé de résumer la pièce auprès de gens : « Quand on parvient à faire en sorte que le réfugié qu’on héberge se suicide, on touche une prime de l’état… » ; des gens, qui répondaient aussitôt : « Ah oui ? Ça se fait ? » Et c’est arrivé plusieurs fois… Une dystopie lucide, mais elles le sont toutes et c’est le principe, consiste à envisager un pire imminent, la probabilité de l’abomination qui nous tend les bras, celle qu’on entrevoit. Et on l’entrevoit tous les jours : on ne veut pas accueillir les désespérés, on préfère qu’ils se noient. Auquel cas, on n’y est pour rien…

Quel est l’importance du happy ending dans la pièce ? est-ce pour conjurer le sort ? 

Ce n’est pas un happy-end, c’est une ultime respiration dans une farce noire, macabre, funeste, étouffante, abominable… Chacun sait qu’on ne se réconciliera pas comme ça, avec nos consciences et nos catastrophes… Ces deux individus que tout oppose, qui s’entretuent, racontent qu’on peut aussi tenter d’arrêter le combat cinq minutes, d’essayer de faire quelque chose ensemble plutôt que rien tout seul… C’est un peu de poésie, de délicatesse, comme il nous faut de l’humour, pour supporter le tableau. C’est une valse lente qui atténue peut-être les bruits du monde !

Que symbolise la chaise dans la mise en scène ?

C’est le seul objet, le seul véritable accessoire et élément de décor. Elle dit tout : c’est la place qu’on s’accorde, le trône unique, ou la place qu’on accorde à l’autre, interdite, parce qu’on est assis dessus et que la place est prise. Et c’est aussi la place qu’on convoite, qu’on négocie, qu’on sacrifie, qu’on concède, et parfois même, pourquoi pas, qu’on partage… Question de « territorialisation ». C’est le nerf de leur guerre… Et puis, on finit par s’en débarrasser, on évacue la question, et tout le monde est debout, et tout le monde danse…

Quel est l’importance du rire dans l’écriture de la pièce ? Est-ce pour mettre davantage en avant l’horreur du propos ?

C’est pour me faire pardonner. J’écris des horreurs et je le sais, je ne sais pas faire de jolies choses, dignes, correctes. Je ne pense pas bien, je ne sais pas faire des choses bien pensantes. J’ai de sales habitudes et de mauvais réflexes, j’ai honte, j’ai mal partout, à la conscience, à l’impuissance, à l’inaction. J’ai tellement honte d’être tellement inutile, nul et vain, que je vais fouiller dans le pire de moi-même, et j’exhibe mes ordures. Je ne sais pas faire autrement, alors je demande pardon, avec un peu d’humour, avec un peu de musique, pour que cela soit un peu respirable, supportable. Et le rire permet aussi, il paraît, de prendre la distance, de prendre la hauteur qui s’impose, de changer de point de vue, voire d’idée… Le rire de ma mère m’a sauvé, toujours, de toutes nos catastrophes familiales.

Pouvez-vous nous dire un mot sur les comédiens ? Comment choisit-on les comédiens pour une telle pièce ?

J’ai travaillé avec Muriel Gaudin sur L’Histoire d’une femme, dès 2006. Un monologue terriblement féministe, où elle exposait toutes les sortes de violences subies par une femme durant une journée de la part des hommes. Avec Silvie Laguna, nous avons créé C’est Noël tant pis et Perdues dans Stockholm, entre autres. Nous nous connaissons si bien… Elles sont… exceptionnelles… Les rôles sont écrits pour elles deux. J’ai rencontré Clyde alors qu’il était élève au Conservatoire. Je ne voulais surtout pas travailler avec un acteur noir pour jouer un personnage noir. Mais il est tellement fantastique, que j’ai fini par accepter sa noiritude (négritude ?) Je les aime, tellement ! On ne choisit pas des comédiens, on choisit un projet pour eux, et ils acceptent de vous supporter (ou pas.)

Faut-il choquer pour faire réagir et éveiller les consciences ? 

Le théâtre n’est pas là pour ça, je ne crois pas. La conscience est une affaire personnelle. Au théâtre, on convoque une communauté de consciences bienveillantes, complices, en connivence. On partage ensemble une représentation des catastrophes du monde, on se réfugie là, à l’abri des horreurs, pour en rire, pour s’en consoler, pour réécrire l’histoire et refaire le monde, ensemble, chacun selon son regard et son histoire. S’il y a un choc, il est très consenti, très relatif, au théâtre. J’adore être un spectateur bousculé, scandalisé, voir là ce que je ne verrai jamais ailleurs, être surpris et interrompu dans mes mollesses. Je crois qu’on ne cherche pas là le confort ou la bien-pensance, la complaisance ou le message. Je crois qu’on a besoin d’être ensemble pour avoir moins peur, moins mal, et parfois moins honte.